Entreprises en cours d’embarquement – RDD 2023

Entreprises en cours d’embarquement

Retour sur les Rencontres du Développement Durable 2023

Les ODD en 2023, où en sommes-nous ?

Les objectifs de développement durable (ODD) ayant été adoptés en 2015 pour 2030, nous entamons la « deuxième mi-temps du match du siècle » (Thomas Friang). Mais alors que l’Assemblée Générale de l’ONU alertait en septembre dernier que seuls 15% des ODD étaient atteints, certains s’inquiètent déjà d’un match perdu d’avance. Pour atteindre les 85% des ODD restants, il faut accélérer considérablement les efforts pour les transitions. 

Ce constat fait écho au rapport de Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz (mai 2023) qui montrait que les années 2020-2030 seraient « la décennie de toutes les difficultés » : pour atteindre une baisse de 55% des émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030, il faut encore doubler le rythme de baisse des émissions par rapport à la période 2010-2020 ; cela suppose un supplément d’investissement d’au moins 2% du PIB mondial par an d’ici à 2030. 

Les investissements pour les ODD sont aujourd’hui mis à mal par les multiples crises mondiales (Covid, Ukraine, Israël-Palestine, inflation) ; dans certains pays, un impératif humanitaire permanent relaie au second plan les défis du développement durable, sans compter que de nombreux États au bord de la faillite allouent plus de financement à la dette qu’à l’éducation ou à la santé. 

Pourtant, ce n’est pas sur un ton défaitiste que se sont ouvertes les Rencontres du Développement Durable 2023. Thomas Friang, fondateur et alors DG de l’Institut Open Diplomacy, a plaidé pour une approche néo-réaliste tenant compte des réalités de la crise climatique qui se font de plus en plus pressantes. Les intervenants ont porté d’une même voix un appel à l’action et à la mobilisation collective pour relever ensemble le défi du siècle. 

Si la France, 6e pays le plus avancé dans l’atteinte des ODD après les pays scandinaves, est effectivement un pays avant-gardiste dans la transition et la planification écologique, tous les pays doivent s’y mettre. Le développement durable requiert définitivement une approche holistique et l’articulation des stratégies nationales en cohérence avec l’ambition globale (« UN as one »).

Riches d’inspirations pour les gouvernements, les collectivités, les citoyens et les entreprises, les Rencontres du Développement Durable ont été l’occasion d’identifier les blocages et les leviers de l’action collective pour accélérer la transition et l’atteinte des ODD. Parmi ces leviers : l’harmonisation des réglementations, l’innovation, ou encore les stratégies d’ancrage territorial.

La réglementation, un accélérateur des transitions ?

Si la réglementation fournit les normes et les cadres nécessaires à la transition, sa surenchère risque aujourd’hui de freiner les entreprises. Il faut alors simplifier et harmoniser le cadre réglementaire des transitions.

« L’injonction réglementaire est extrêmement utile pour avancer, et avancer vite » (Laurence Monnoyer-Smith)

La réglementation, vectrice de planification, répond à un besoin de cohérence. Elle fournit une vision transversale sur tous les enjeux, tous les secteurs et les acteurs ; elle permet de répartir les coûts et les bénéfices de la transition de façon juste. Pour l’entreprise, la réglementation renforce la capacité d’organisation (dépenses, investissements) et la visibilité sur l’ensemble des efforts à fournir dans les années à venir.

C’est d’ailleurs le sens des paroles d’Antoine Sire, Directeur de l’engagement d’entreprises de BNP Paribas : « Pas de planification, pas de financement ». Une banque a des clients et ce sont les clients qui font la transition ; pour cela, ils ont besoin de signaux forts et c’est le rôle de la planification. Il observe que l’Accord de Paris a été le premier acte de la planification écologique et l’élément déclencheur du financement des transitions.

Un deuxième argument porte sur la dimension contraignante de la réglementation. Face aux blocages (les débats fin du mois / fin du monde, les résistances au changement, ou encore les injonctions contradictoires qui pèsent sur les entreprises), la réglementation est un puissant levier pour assurer que les entreprises prennent des mesures pour les transitions écologiques et sociales malgré les réalités économiques immédiates auxquelles elles font face. Laurence Monnoyer-Smith (Co-présidente de l’Institut d’Open Diplomacy) affirme qu’au sein de la gouvernance interne des entreprises, l’injonction réglementaire fait alors peser la balance en faveur de l’engagement vers les transitions. En cela, c’est un puissant accélérateur.

Ce constat est partagé par Brune Poirson, Directrice du développement durable d’Accor : « Il faut impérativement mettre de la pression aux entreprises, mais on ne peut pas tout attendre d’elles ». Selon elle, les entreprises qui cherchent à transformer leur modèle d’affaires doivent s’ancrer dans le temps long et entrent alors en contradiction avec les investisseurs et les actionnaires qui s’inscrivent dans le temps court des marchés financiers. La réglementation représente une façon de trancher ce paradoxe temporel en faveur des transformations de l’entreprise ; elle donne le feu vert aux entreprises pour aller de l’avant. 

La réglementation, cette « avalanche bureaucratique » (Olivier Delbard)

Taxonomie, CSRD, DPEF, loi relative au devoir de vigilance… Ces dernières années, le besoin de cadre réglementaire pour organiser la transition a donné lieu à une multiplication de normes et de référentiels, à différentes échelles, et même des doublons entre référentiels nationaux et européens. Actuellement, la complexité du cadre réglementation risque de créer de la confusion pour les entreprises et constitue un frein potentiel voire une « avalanche bureaucratique » (Olivier Delbard, professeur à l’ESCP). 

Ce constat est appuyé par Siemens : l’entreprise alerte sur des réglementations parfois « difficiles à digérer » (Doris Birkhofer, Présidente de Siemens France). Les nouvelles réglementations requièrent du temps, des compétences, des moyens et sont finalement de nouvelles contraintes avec un impact majeur sur tous les processus de l’entreprise. Bien qu’on observe la bonne volonté de la plupart des entreprises, la surenchère de normes risque de devenir pénalisante, surtout pour les PME. 

On note cependant la voix divergente de Thomas Lesueur (Commissaire général et Délégué interministériel au Développement durable) qui expliquait que les différents référentiels répondent à un besoin de repères : « il ne faut pas opposer les référentiels, ils ont tous leur utilité. Certains permettent d’avoir une comparabilité internationale quand d’autres sont des guides à l’action ». Les référentiels s’articulent et se complètent à différentes échelles. 

Faire converger les normes : vers quel modèle ?

L’harmonisation des référentiels pour simplifier le cadre réglementaire de la transition soulève la question du modèle vers lequel on souhaite tendre. Comme l’a souligné Sylvianne Villaudière (Vice-présidente de la Société d’Encouragement pour l’Industrie Nationale), la convergence des normes est finalement une question géopolitique. Tout d’abord, c’est un enjeu pour la compétitivité des industries nationales. Sylvianne Villaudière plaide pour une réglementation européenne en faveur d’une « politique industrielle commune » pour partager une vision et faire face à l’Inflation Reduction Act des États-Unis (guide « faire renaître l’industrie dans les territoires »).

Ensuite, un rapport de force entre États-Unis et Union Européenne existe dans le domaine des normes extra-financières. Dans les mesures d’impact extra-financier, les normes se multiplient, s’enchevêtrent et présentent souvent des incohérences. Comme l’a montré Françoise Blind, associée-fondatrice de Mergéo, la sélection des critères ESG est différente selon les organisations (telles que les agences de notation) mais aussi selon les pays. Aux États-Unis, l’analyse extra-financière se concentre sur l’impact financier, alors que l’Europe s’est montrée plus ambitieuse avec le principe de double-matérialité. Il faut un modèle commun international pour que les investisseurs soient en mesure de comparer les entreprises et leurs impacts, et ainsi faire des choix pertinents. Pour Sylvianne Villaudière, « il faut que l’Europe et sa vision l’emporte », ou du moins qu’elle ne soit pas gommée par celles des États-Unis ou de la Chine.

Au sein même de l’Europe, des visions très contrastées persistent. Laboratoire des réglementations environnementales, la France fait figure de pionnier avec l’adoption de textes exigeants et avant-gardistes tels que la loi relative au devoir de vigilance dès 2017, amenée à passer à l’échelle européenne. Il semble que le modèle français pourrait devenir le nouveau standard européen.

Les entreprises face à la transition : quels moteurs, quels blocages ?

« Changer de business model » est désormais le leitmotiv des entreprises qui souhaitent s’engager sur la voie de la durabilité : la RSE ne suffit plus, il faut intégrer la durabilité au cœur de la stratégie de l’entreprise. Cependant, cette transformation peine à se concrétiser et ne va pas assez vite. 

La conviction du dirigeant, un puissant moteur des transitions

Chloë Voisin-Bormuth, Directrice Générale de Paris-Île de France Capitale Économique, identifie trois moteurs de la transformation des modèles d’affaires des entreprises : la contrainte réglementaire, les opportunités économiques et la conviction du dirigeant. D’abord, les contraintes règlementaires, comme expliqué précédemment, facilitent l’organisation des transitions et forcent le changement lorsque cela est nécessaire. 

Ensuite, la transition est motivée par des opportunités économiques : réduction de coûts liés à une meilleure gestion des ressources, pénétration de marchés en forte croissance, attractivité pour les investisseurs responsables… Mais l’argument économique ne suffit pas. Par exemple, Yannick Servant, co-fondateur de la Convention des Entreprises pour le Climat, a fait remarquer que le service de location de pneus chez Michelin (exemple très souvent cité pour illustrer l’économie de fonctionnalité) représentait en réalité à peine 1% du chiffre d’affaires de l’entreprise. Sans compter les nombreux renoncements que l’entreprise doit assumer, sans connaître avec précision et certitude les retombées économiques de sa transformation.

Pour Chloë Voisin-Bormuth, ce sont alors les valeurs et convictions du dirigeant qui représentent le principal moteur des transitions et qui pousse les entreprises à aller au-delà des logiques de business et de conformité. Même si l’on perçoit aujourd’hui des signes que les modèles traditionnels tendent à s’essouffler, ceux-ci continuent de fonctionner et d’être rentables. Pour assumer les coûts de la transition et engager dès maintenant sa transformation, c’est la conviction du dirigeant qui fait toute la différence. Celle-ci permet notamment de redéfinir le rôle de l’entreprise, d’affirmer sa raison d’être et sa contribution sociétale, et finalement de refonder son modèle de performance.

En pleine phase du « comment », les entreprises peinent à concrétiser ces transitions et se heurtent à des paradoxes

Si les dirigeants sont conscients du besoin de se transformer, on entre dans la phase du “comment”, qui est complexe à résoudre : Quels outils de pilotage ? Quelles compétences ? Quelles innovations ? Alors que l’urgence écologique appelle une transformation radicale de nos façons de produire et de consommer, l’entreprise ne peut pas se précipiter. 

Tout d’abord, les entreprises n’ont pas toujours les outils et les méthodes pour piloter la transition (méthode de reporting, mesure d’impacts…). La comptabilité triple-capital, la CSRD et la taxonomie sont des référentiels et fournissent des indicateurs mais ils ne sont pas toujours facilement appropriables et actionnables par les entreprises. De nombreux speakers ont mentionné que les ODD pouvaient servir d’outil de pilotage systémique et standardisé qui s’inscrit dans un mouvement international, tant pour les entreprises (Veolia…) que pour les collectivités (Anne-Marie Jean, Vice-présidente de l’Eurométropole de Strasbourg). 92% des entreprises du SBF120 déclarent en effet utiliser les ODD comme grille d’analyse pour structurer leur stratégie et faire évoluer leur modèle d’affaires (BL Evolution, 2022). Mais les ODD étant universels par vocation, les entreprises ont besoin de temps pour traduire et adapter le langage des ODD à leurs propres opérations et développer des indicateurs qui font sens. Une exception cependant avec l’ODD 13 qui s’accompagne d’indicateurs plus homogénéisés tels que l’initiative SBTI ; facilement mesurable, c’est « l’ODD préféré des investisseurs », a rapporté Chloë Voisin-Bormuth citant l’étude « Robeco Global Climate Survey 2022 ».

L’urgence de la crise environnementale se heurte aux processus de l’entreprise, qui doivent rester méthodiques. Il existe alors un risque de se précipiter en adoptant des solutions prêtes à l’emploi qui se révèlent moins vertueuses ou moins rentables que prévu. C’est l’exemple de Lego qui a dû abandonner le plastique recyclé dans sa production de briques car le processus finissait par alourdir le bilan carbone de l’entreprise à long terme ; ou encore le cas des voitures électriques, pilier de la mobilité décarbonée, qui nécessitent du nickel ou du lithium importés de l’autre bout du monde et dont l’exploitation repose généralement sur l’énergie fossile. Ces initiatives en faveur du développement durable présentent donc de potentiels effets ambigus/rebonds que l’entreprise doit assumer. Peu d’entreprises peuvent prétendre être totalement vertueuses à ce jour.

Se transformer vers de nouveaux modèles suppose d’expérimenter, de tâtonner, et bien souvent faire marche arrière pour innover et adopter des solutions qui n’existent pas encore. Le GIEC estime en effet que 50% des solutions pour la neutralité carbone ne sont pas encore inventées. L’innovation est la clé des transitions : dans l’histoire, l’innovation représente « le point d’inflexion des courbes » (Bruno Bonnell, Secrétaire général pour l’Investissement en charge de France 2030). L’entreprise se heurte alors à un paradoxe car le temps de l’innovation n’est pas celui de l’urgence. 

Pour accélérer l’innovation, l’entreprise doit rassembler les compétences et faire avec ses clients, ses fournisseurs et ses collaborateurs. Antoine Sire de la BNP a présenté la Sustainability Academy pour former les collaborateurs aux enjeux climatiques dans leurs métiers ; de même, Brune Poirson a expliqué comment Accor a formé l’intégralité de ses collaborateurs, a aligné la rémunération sur des critères extra-financiers et a transformé la gouvernance pour que le développement durable « soit l’affaire de tous et non pas celle de quelques-uns ». Ainsi les entreprises ne doivent pas faire table rase mais capitaliser sur les compétences et assets existants. À l’image du paquebot, l’entreprise a tout intérêt à embarquer l’ensemble de ses parties prenantes : lente à démarrer, la transformation n’en est que plus solide et plus efficace (Chloë Voisin-Bormuth).

Les synergies entre l’entreprise et son territoire, un facteur clé de succès

Les stratégies d’ancrage territorial et la coopération entre l’entreprise et les acteurs de son territoire semblent être une bonne voie pour atteindre les ODD. 

La transition redéfinit les manières de travailler en entreprises, à l’intérieur et à l’extérieur de ses frontières

Si les collaborateurs jouent un rôle clé dans le processus de transformation, l’entreprise doit aussi mobiliser les parties prenantes externes tels que les fournisseurs, les clients, voire les concurrents. La comptabilité carbone exige désormais de contrôler ses émissions sur l’ensemble de la chaîne de valeur (scope 3). Se transformer conduit certains métiers à remonter la chaîne de valeur et incite à nouer des partenariats R&D pour développer des solutions sur toute la filière concernée. La relation avec les fournisseurs se trouve alors redéfinie : au-delà d’une relation offreur / demandeur, c’est une relation partenariale qui alimente les synergies et accélère l’innovation. 

Cette approche écosystémique suppose d’aller jusqu’à embarquer ses concurrents. Yannick Servant, co-fondateur de la Convention des Entreprises pour le Climat, citait l’exemple de Mustela, marque de lingette qui s’est lancée dans l’offre en vrac : après un premier échec, Mustela a coopéré avec ses concurrents pour lancer une offre de multi-vrac en pharmacie. Mustela a ainsi embarqué ses concurrents et fait émerger un écosystème au sein d’une filière qui n’existait pas.

Pour mobiliser ces acteurs, l’approche territoriale est une solution. Le territoire est propice à l’expérimentation : il fournit un cadre commun et une agilité de mise en œuvre. Ainsi, l’innovation peut être territoriale avant d’être sociétale, d’après Charles-Benoît Heidsieck (Président et Fondateur du Rameau). Le cas des arrondissements pilotes à Paris pour le recyclage des déchets alimentaires dans le cadre de la loi AGEC illustre bien l’idée d’un territoire propice à l’expérimentation.

Ce propos est relayé par Chloë Voisin-Bormuth : face aux enjeux globaux, se rattacher à un territoire et à l’échelle locale est plus facile ; c’est un moteur de l’action. La solution consiste alors à développer un écosystème favorable aux transitions, développer des synergies sur le territoire pour accélérer les innovations, accompagner les entreprises dans leurs transitions vers de nouveaux modèles ; c’est l’ambition de Paris-Île de France Capitale Économique.

L’économie circulaire pour territorialiser la planification écologique

Explorer les synergies entre l’entreprise et les acteurs de son territoire est particulièrement pertinent dans le cas de l’économie circulaire. Celle-ci permet de faire coopérer les acteurs d’un territoire autour de l’utilisation des ressources. Elle contribue à ancrer la stratégie d’entreprise et son modèle d’affaires sur le territoire, autour des ressources locales et des savoir-faire locaux. 

Par exemple, Sarah Jeannerod de l’association Orée a évoqué la démarche d’écologie industrielle FE2I (Flux Économiques Inter-entreprises), qui amène les entreprises de Lorraine Nord à coopérer dans le recyclage des déchets pour « faire en sorte que les déchets des uns soient ressources pour les autres », mais aussi à mutualiser l’ensemble des achats et des ressources (énergie, équipements, compétences…), générant ainsi de moindres coûts et une meilleure compétitivité à travers ces synergies concrètes. FE2I estime que la démarche a permis d’économiser 1 319 tonnes de CO2 et 106 000 euros depuis 2015.

De même, la plateforme Grand Paris Circulaire lancée par la Métropole du Grand Paris réunit des acteurs publics et privés du Grand Paris pour faciliter la mise en œuvre de démarches d’économie circulaire. Elle donne aussi de la visibilité aux contributeurs pour permettre d’établir de potentielles coopérations. L’événement Grand Paris Circulaire a vocation à mettre en lumière ce genre d’initiatives et à mettre en relation les acteurs engagés sur le sujet, qu’ils soient acteurs territoriaux, économiques ou associatifs. 

L’économie circulaire présente de nombreux bienfaits pour les territoires. Le rapport « Économie circulaire et attractivité » d’Orée montre que l’économie circulaire participe à la régénération des territoires via 4 leviers : le solde démographique (attractivité résidentielle), les dynamiques socio-économiques (économie locale), la régénération des formes urbaines (aménagement durable) et les politiques territoriales (pilotage et financement de projets). Par exemple, la communauté d’agglomération Paris-Saclay présente une orientation consacrée à l’économie circulaire dans son « Projet de Territoire » 2016-2026. Celle-ci permet de renforcer l’identité communautaire et la coopération des acteurs tout en assurant l’essor du développement territorial. En cela, l’économie circulaire participe à la construction d’un « récit de territoire ».

Cependant, plusieurs intervenants ont fait remarquer que l’économie circulaire ne devait pas être un prétexte à la production de déchets ; il faut aussi s’intéresser à des solutions pour réduire ces déchets et transformer la demande.

Un exemple de succès : Veolia et la Métropole Européenne de Lille

Veolia place la durabilité au cœur de la stratégie de l’entreprise avec le référentiel de « performance plurielle » fondé autour des 5 dimensions environnementale, sociale, sociétale, commerciale et économique & financière. L’approche de Veolia part du principe qu’ « une entreprise est prospère parce qu’elle est utile et non l’inverse ». L’engagement du distributeur en faveur de la durabilité a été un critère décisif dans le choix de prestataire du Conseil métropolitain de la Métropole Européenne de Lille (MEL). 

Armelle Perrin-Guinot, Directrice des engagements sociétaux de Veolia, a fait remarquer le retard de la France dans la réutilisation des eaux usées avec moins de 1% de réutilisation, contre 15% pour l’Espagne ou 80% pour Israël. Veolia a développé une solution innovante avec la MEL, dans le cadre d’un contrat qui prendra effet dès 2024 pour 10 ans dans les 66 communes de la métropole. L’objectif est d’économiser 65 millions de mètres cubes d’eau sur 10 ans, soit 1 année de consommation d’eau. 

Le principe : les grands consommateurs de la MEL (bailleurs sociaux, entreprises et collectivités) seront accompagnés dans leur réduction de consommation d’eau avec 1 200 contrats de sobriété hydrique. Contrairement aux contrats habituels, les contrats de sobriété hydrique ne reposent pas sur une tarification progressive (les consommateurs bénéficient d’une réduction au-delà d’un seuil de consommation), mais sur une tarification incitant à la sobriété : si les clients n’atteignent pas l’objectif d’économies de 15% d’eau, ils paient directement des pénalités allant jusqu’à plus de deux fois le prix du mètre cube. 

Comme l’a fait remarquer Armelle Perrin-Guinot, cette démarche a été longue à mettre en place du fait du nombre considérable d’interlocuteurs ; mais ces contrats permettront à la MEL d’atteindre ses engagements dès 2028. La MEL devrait avoir un temps d’avance sur le gouvernement et sur la plupart des métropoles.

La durabilité redéfinit les notions de performance et d’attractivité

Si Bruno Le Maire a affirmé que la transition était un facteur de compétitivité pour les entreprises, force est de constater que, « en matière de lutte contre le changement climatique, on a tout intérêt à ne pas avoir raison tout seul : afin que notre action porte ses fruits, il faut que tous nous emboîtent le pas » (Chloë Voisin-Bormuth). 

C’est d’ailleurs la réflexion menée par B lab et le label B corp : Comment rendre un label exigeant suffisamment inclusif pour embarquer des entreprises qui ne sont pas encore engagées ? Avec comme vision fondatrice d’ « être les entreprises les meilleures pour le monde, et non pas les meilleures au monde. » (Thomas Breuzard). Ces considérations nous amènent à revoir les fondements de nos modèles de performance. 

Ces propos font aussi écho à ceux d’Olivier Becht, ex-Ministre délégué chargé du Commerce extérieur, de l’Attractivité et des Français de l’étranger, soutenant que le commerce international est un élément de réponse au défi du développement durable : si la décarbonation et l’industrie verte donnent aux entreprises un avantage comparatif dans un contexte de concurrence internationale accrue, les acteurs engagés poussent leurs partenaires à accélérer leurs engagements. À l’échelle des pays, il citait l’exemple de l’accord de libre-échange de « nouvelle génération » entre l’Union Européenne et la Nouvelle Zélande (juillet 2023), qui contient des engagements sociaux et climatiques sans précédent. 

Paris-Île de France Capitale Économique plaide en faveur d’une nouvelle notion d’attractivité au regard des enjeux du développement durable et des transitions. Le baromètre de l’attractivité 2023 d’EY montre que la France est considérée comme une terre favorable aux transitions ; c’est un critère qui séduit de plus en plus les investisseurs internationaux et contribue à hisser la France en tête des pays européens les plus attractifs. Grâce aux engagements du pays, les entreprises qui doivent décarboner leur activité à grande vitesse trouvent un cadre propice à l’accélération de leurs programmes ESG. Ce positionnement de leader et pionnier des transitions ne fait sens que si la France sert de modèle aux autres pays.

Cependant, sur les marchés, la transformation des modes de consommation prend du temps à s’installer. L’argument écologique ne fait pas sens pour tous les consommateurs, pour des questions de budget (coût du green premium) et surtout pour des questions d’habitude : dans les pays riches, il est difficile de passer à la sobriété lorsque l’on a toujours connu un mode de vie marqué par l’abondance et le consumérisme ; dans les pays émergents, il est délicat et même injuste de prôner la sobriété alors qu’ils ont été exclus de la société de consommation dont nous profitons depuis des décennies. Ainsi, selon Bettina Laville (Fondatrice et Présidente du Comité 21), « il faut une transformation de modèle sociétal, avant une transformation de modèle économique ». La transition doit se fonder sur des valeurs partagées telle que la sobriété prônant un renoncement à l’excès, qui était jusqu’alors la norme. 

Cette idée est appuyée par les propos de Laurence Monnoyer-Smith qui affirme que la transition est avant tout un défi politique et sociétal : « la transition est précise, ingénieuriale et technique ; mais ça ne fait pas bouger les foules. […] il faut mobiliser des formes d’expression, des façons de parler de la transition écologique ». C’est le rôle de la culture, grande absente des ODD mais puissant connecteur et vecteur de narratifs pour inspirer les citoyens et se projeter vers de nouveaux possibles.