SXSW 2024 : quand le festival crée la destination

SXSW 2024 : quand le festival crée la destination

Du 8 au 16 mars, le monde entier a convergé vers Austin, Texas, pour célébrer l’innovation et la créativité sous toutes ses formes. 

Les industries créatives peuvent jouer un rôle crucial dans une stratégie plus globale d’attractivité et de développement économique. Paris-Île de France Capitale Économique s’y est intéressée pour le Grand Paris dans l’étude Culture et industries créatives, un atout économique, social et territorial pour le Grand Paris. De périphérie à centre majeur des industries créatives, Austin est un exemple parfait de l’effet que peut avoir la culture sur le destin d’une ville.

SXSW, une histoire de créativité 

Depuis ses débuts en 1987 pour mettre en valeur la scène musicale d’Austin, le festival South by Southwest a suivi une trajectoire fascinante. Il est aujourd’hui devenu une plateforme mondiale incontournable à l’intersection entre art, société, technologie et culture, lieu de rencontres et d’échanges sur les nouvelles tendances.

Le festival est né de discussions dans les bureaux du journal The Austin Chronicle sur le manque de visibilité de la scène musicale locale. Le nom de l’événement – inspirée du film North by Northwest de Hitchcock (1959) – vise à mettre un nouveau point sur la carte de l’industrie musicale nationale, distinct des pôles que sont les côtes est et ouest des États-Unis (un nom envisagé était également « Third Coast »). Au fur et à mesure des années, chaque édition grandit – en nombre de participants et d’intervenants – et se diversifie. En 1994, deux nouvelles branches sont ajoutées, Interactive et Film, positionnant Austin comme un lieu de retrouvailles pour les communautés digitales naissantes. Aujourd’hui, c’est l’ensemble des classes créatives qui se retrouvent en mars dans la ville texane. Depuis 2023, SXSW s’est développé avec un spin-off à Sydney, Australie.

La diversité et la créativité sont les maîtres mots. Les personnalités les plus en vue – stars de cinéma, musiciens, politiques et activistes, entrepreneurs – s’y retrouvent. Austin a par exemple accueilli cette année, à la sortie des Oscars, les acteurs nominés Colman Domingo, Emily Blunt ou encore Ryan Gosling, mais aussi Meghan Markle, duchesse du Sussex ou encore Amy Webb, futurologue et PDG du Future Today Institute. Cet assemblage a priori disparate fait la richesse de SXSW, car il permet d’englober les quatre sortes de créativité de nos économies actuelles : les créativités économique (l’innovation dans les pratiques commerciales ou de marketing par exemple), scientifique, culturelle et technologique (CREATIVE ECONOMY 2030, p.147).   

Un impact considérable sur l’économie 

Plus de 150 lieux ont été mobilisés pour la semaine, pour la plupart dans un rayon de 2 km autour du fameux Austin Convention Center, épicentre des festivités. Environ 350 000 visiteurs étaient de la partie. 

En 2022, SXSW a injecté 280,7 millions de dollars dans l’économie de la ville (données de South By Southwest). C’est presque 1,5 fois plus qu’en 2012, quand le montant de l’impact économique du festival montait à 190 millions de dollars. Avec une croissance économique de 40% dans le secteur créatif au cours des dix dernières années, le festival contribue activement à la prospérité d’Austin sur le long terme (Paris-Île de France Capitale Économique). La ville qui a vu naître Dell a ainsi bénéficié de l’arrivée par la suite de Facebook, Oracle, Apple, Google ou encore Tesla.

La stratégie d’Austin est volontariste : SXSW est utilisé à escient pour renforcer l’attractivité de la ville et devient un élément essentiel de son identité et de son économie, tout comme le fameux Austin City Limits des mois d’octobre, qui est quant à lui uniquement consacré à la musique. L’économie créative figure comme une priorité dans le plan « Imagine Austin » établi en 2012 et, trois ans plus tard, Austin rejoint le réseau des Villes Créatives de l’UNESCO. Si cette attractivité renouvelée encourage le développement économique grâce aux classes créatives, elle a cependant pour conséquence de faire grimper le coût de la vie. Il est donc nécessaire de prendre en compte ce facteur dans la stratégie globale du territoire. 

Un facteur d’attractivité pour Austin

SXSW est aussi un facteur de rayonnement à l’international. La diversité affichée de SXSW et d’Austin permet de créer un environnement weird et branché, moins guindé que le CES de Las Vegas, qui est apprécié par les exposants et visiteurs. Le festival « brille par son intégration dans la ville » (Les Echos). Parmi les centaines de lieux destinés à SXSW, certains sont en accès gratuit pour des concerts ou des soirées. Bien que la majorité des exposants et visiteurs soient américains, SXSW est un lieu de rencontre pour les créatifs du monde entier. La France y était représentée notamment par une délégation d’une quarantaine d’entreprises et startups menée par Bpifrance, avec le double objectif de faire rayonner le savoir-faire français – de Chanel au CNC en passant par Ubisoft – mais aussi de s’inspirer du bouillonnant festival. Des représentants de plus de 100 pays au total font le déplacement. Outre la France, la Corée du Sud a par exemple envoyé plusieurs de ses entreprises travaillant sur le métavers (Les Echos). 

En bref, les pays et les entreprises pesant à l’échelle mondiale sur les tendances des industries culturelles – que ce soit d’un point de vue économique, technologique ou culturel – se retrouvent à SXSW. Il est d’ailleurs intéressant de voir que la ville, le festival et l’aéroport d’Austin – situé à 15 minutes en voiture du Convention Center – se sont développés de façon concomitante depuis les années 1980 (Gina Arnold, 2021). Alors qu’en 1987, l’aéroport n’accueillait pas même de vols directs des villes côtières américaines, c’est désormais un aéroport international qui compte jusqu’à 2 millions de voyageurs par mois (mai 2022).

SXSW 2024 : l’intelligence artificielle au cœur des débats 

Pour tous ces créatifs, des startups de tech aux médias en passant par les compositeurs de musique, SXSW a été l’occasion d’évoquer les défis et opportunités de l’intelligence artificielle. Des interventions et des témoignages post-festival ressort un constat partagé, résumé ainsi par Ian Beacraft : « l’IA ne sera pas un avantage compétitif mais un changement complet de paradigme » (d’après la Réclame). Nous entrons dans une ère nouvelle, qui amène des questions de supervision humaine, mais aussi de futurs modèles de travail dans les industries créatives. 

Face à cet enjeu, les entreprises et créatifs présents à SXSW semblent se diviser autour de quatre catégories :

  • les « pro-IA », qui se concentrent sur une vision de l’IA comme décupleur de créativité. John Maeda (VP Design & IA chez Microsoft) a par exemple partagé son enthousiasme face au potentiel de l’IA générative pour ceux qui pensent (thinkers) par opposition à ceux qui font (doers, à savoir les ingénieurs et développeurs).
  • les « pro-humans », qui continuent de penser que l’humain restera supérieur à la machine.
  • les inquiets, essentiellement des entreprises créatrices de contenus ou des plateformes de réseaux sociaux, grands absents du rassemblement selon des commentaires de Zuzanna ou Marion Breuleux (co-fondatrice du FrenchCrewSouthBy).
  • les pragmatiques, notamment représentées par les analyses de Nicolas Dufourcq (Directeur général – Bpifrance) sur LinkedIn et Zach Seward (directeur éditorial des initiatives IA – The New York Times). Face au potentiel et aux avantages de l’IA, il est nécessaire de parler des enjeux d’éthique, que ce soit de l’utilisation de l’IA dans le journalisme ou des enjeux de propriété intellectuelle et de proportionnalité de la rémunération.