Parité en Portraits #1 – Dinah Louda

Parité en Portraits #1 : Dinah Louda

Après son Baromètre de la Parité dans le Grand Paris, Paris-Île de France Capitale Économique met en avant des femmes dirigeantes du territoire et leurs visions des enjeux de parité dans une série d’entretiens « Parité en Portraits ». Pour débuter cette nouvelle série, nous avons eu le plaisir d’échanger avec Dinah Louda, Conseillère auprès du PDG de Veolia Environnement pour les relations internationales et Présidente de l’Institut Veolia.

Américaine amoureuse de la France et de Paris, Dinah Louda est politologue de formation. Après Sciences Po Paris et Harvard, elle a commencé une carrière de journaliste, notamment comme correspondante pour Business International. Ensuite, elle franchit le pas vers l’entreprise en tant que directrice de communication dans le monde de l’assurance et de la banque avant d’entrer chez Areva, dans sa filiale T&D, puis à Veolia. Enfin, c’est le retour aux sources avec la présidence de l’Institut Veolia et son rôle de conseillère en relations internationales, mettant à profit ses compétences pour être une passerelle entre les cultures et entre les mondes de l’entreprise et de la recherche, et appréciant la diversité des perspectives que cela entraîne. 

Voici quelques extraits de la conversation.

Vous êtes américaine, née à New York. D’où vient votre connexion à la France ?

Dinah Louda : Je suis née aux États-Unis de parents de culture d’Europe centrale. Ils m’ont mise au lycée français de New York. Mon éducation s’est donc entièrement faite dans le système français, si bien qu’à 18 ans, un bac français en poche, j’ai absolument voulu venir à Paris. Je voulais découvrir la capitale, que je rêvais comme ville lumière. Je voulais étudier la politique, la diplomatie, l’histoire, le droit international. J’ai intégré Sciences Po Paris, avant de continuer des études de sciences politiques à Harvard. Puis, j’ai tout fait pour revenir à Paris – pour retrouver sa beauté et ses possibilités – et, grâce à une bourse, j’y ai étudié l’histoire contemporaine.

Quelle est votre expérience des systèmes d’enseignement supérieur français et anglo-saxon ? Quelles en sont les différences ?

DL : C’était très différent à l’époque. Peut-être que cela a changé. En France, auparavant, on apprenait par cœur et on ne questionnait pas vraiment. L’important, c’était de savoir. Quand je suis allée à Harvard, en graduate school, certes je devais lire et connaître le contenu de ce que je lisais, mais l’objectif qui nous était fixé était de réfléchir aux a priori des auteurs. Je pense qu’il faut une hybridation des deux, en articulant les faits à la critique. 

Comment avez-vous appréhendé les questions de parité hommes-femmes dans votre parcours ?

DL : J’ai souvent été l’une des seules femmes à siéger dans les COMEX. Dans le secteur de l’assurance par exemple, le personnel était majoritairement féminin, mais cette représentation ne se reflétait pas au niveau des postes de direction. Comme souvent, c’étaient les fonctions support qui étaient le plus féminisées : communication, RH, direction juridique… En revanche, dans l’opérationnel, la féminisation de ces fonctions est plus récente, et cela implique d’agir sur l’ensemble du système, dès l’école.

Les secteurs dans lesquels j’ai travaillé sont caractérisés par une prédominance des formations scientifiques et techniques. La première étape est donc d’encourager les femmes à aller vers ces formations et ces métiers. Depuis quelques années, de gros efforts sont déployés qui commencent à porter leurs fruits. Veolia a par exemple une directrice générale depuis 2022, Estelle Brachlianoff, des femmes sont patronnes de métiers, comme pour la technologie de l’eau, avec actuellement Anne Le Guennec, ou d’usines partout dans le monde, comme à Amman en Jordanie ou à Abu Dhabi par exemple. Nous avons fait beaucoup de campagnes pour montrer que ce ne sont pas des métiers réservés aux hommes. Des efforts similaires sont également fournis dans d’autres entreprises.

Comment se concrétisent ces efforts ?

DL : Chez Veolia, nous avons par exemple mis en place notre programme Women in Leadership, dont je suis sponsor. Face aux stéréotypes externes et internes, il est important d’avoir des programmes qui permettent de sortir d’un certain isolement des femmes face aux obstacles à surmonter dans le monde de l’entreprise, et plus particulièrement pour atteindre des postes de direction, et ce quel que soit le secteur ou l’organisation.

Ce programme a été initié aux États-Unis pour encourager les femmes à viser des postes de direction. Son objectif était de travailler sur des aspects tels que l’assertivité, la connaissance du monde des affaires, la diversité des métiers chez Veolia et la connaissance de soi. J’ai été invitée en tant que porte-parole du siège pour présenter les objectifs de féminisation du Groupe Veolia et les raisons à agir, qui incluent à la fois des considérations de performance et d’équité.

Certains soutiennent que ce programme est obsolète et qu’il est temps de passer à des programmes mixtes. Travailler ensemble sur le masculin et le féminin est sans doute une voie à suivre, mais je crois toujours à l’importance de cet espace réservé, tant que le monde n’a pas complètement évolué. C’est aussi ce qui ressort quand on pose directement la question aux femmes participant au programme : un tel espace est nécessaire, non seulement pour être formé, mais aussi, et surtout, pour discuter d’enjeux tels que l’équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle ou les stéréotypes de genre dans le monde du travail. 

Étant donné votre perspective interculturelle, pensez-vous qu’il y a différentes approches à avoir selon l’ancrage culturel ?

DL : Je pense qu’il est essentiel de faire preuve de sensibilité interculturelle sans pour autant changer le message. 

Aux États-Unis, au cours des premières années du programme, j’ai été très frappée par une observation : alors que les Américains parlent beaucoup des droits des femmes et ont été très moteurs avec le mouvement Women’s Liberation, le recrutement des femmes n’était pas satisfaisant. Il y avait un écart entre le discours et la réalité. Pendant ce temps, en Colombie, ce qui peut surprendre, ils avaient fait des progrès bien plus significatifs.

Au Moyen-Orient, nous recrutons des femmes et nous en avons dans les équipes. En Arabie Saoudite par exemple, Veolia poursuit des efforts de féminisation : cela implique de les identifier, de les recruter et de créer des conditions de travail en adéquation avec la culture du pays. Bien sûr, il y a parfois des conflits de valeurs avec des hommes qui ne veulent pas travailler avec des femmes, mais nous maintenons le cap.

Nous ne devons pas nous attendre à ce que tous les pays empruntent le même chemin, mais nous devons nous engager dans la même direction. Au Maroc, par exemple,  plus de la moitié des diplômés sortant des écoles d’ingénieurs sont des femmes ce qui facilite le processus de recrutement. Quand j’y ai pris la parole à l’occasion d’un 8 mars, il y avait à la fois des jeunes ingénieures désireuses de travailler dans l’environnement, mais aussi des femmes qui ont déjà fait leurs preuves sur le terrain, à la force du poignet.

Rencontrez-vous des réticences ? Comment les pallier ?

DL : Je n’ai jamais été confrontée à une réticence de principe, affirmant qu’une femme ne peut pas exercer tel métier. En revanche, j’ai souvent entendu qu’il n’y a pas de femmes à recruter. Dans ce cas, je pose deux questions : avons-nous réellement cherché ? Si oui, comment pouvons-nous agir pour en avoir davantage à l’avenir ?

Une approche volontariste est nécessaire à tous les niveaux. Antoine Frérot [PDG de Veolia jusqu’en 2022, maintenant Président du conseil d’administration] a ainsi instauré qu’à chaque remplacement d’un administrateur dans les filiales du Groupe, des candidatures féminines soient proposées. Cela ne garantit pas leur nomination en tant qu’administratrices, mais cela incite à réfléchir et à proposer des formations complémentaires pour développer les compétences recherchées chez les femmes. La relève est ainsi identifiée avec les plans de succession. L’ensemble des postes de cadres de direction sont depuis également concernés par cette volonté forte de féminisation. Tous les talents, hommes comme femmes, sont pris en considération par les directions des ressources humaines pour diversifier davantage les « Executive Resourcers », c’est-à-dire le top 500 du Groupe. 

Il est enfin important d’encourager les femmes par des role models et des prises de parole les incitant à oser. C’est précisément ce que nous faisons avec le programme Women in Leadership. Chacun a un rôle à jouer dans cette évolution.