Parité en Portraits #2 – Solenne Blanc

Parité en Portraits #2 : Solenne Blanc

Pour ce deuxième portrait, Paris-Île de France Capitale Économique s’est entretenue avec Solenne Blanc, directrice générale de Beaux Arts & Cie et du fonds ArtNova. Une interview offrant une exploration des univers de la culture et du conseil et mettant en lumière une femme dirigeante à la croisée de ces deux mondes.

Après des études de commerce à l’ESSEC, Solenne Blanc commence sa carrière dans le conseil chez Arthur Andersen dans le secteur télécom & media. Par la suite, elle rejoint la start-up Theatreonline en 2000, puis combine ces deux premières expériences au sein d’une start-up de conseil spécialisée dans les télécoms, Greenwich Consulting, où elle crée le pôle médias et devient senior partner. La société est acquise en 2013 par EY pour devenir sa branche de conseil en stratégie, désormais connue sous le nom d’EY-Parthenon. En 2017 se présente avec Beaux Arts l’opportunité d’allier ses passions pour l’art, la culture et la création de contenu à son expertise en conseil et en entrepreneuriat. Initialement directrice de la holding, elle devient directrice générale du groupe Beaux Arts & Cie en 2021, tout en assurant la direction du fonds d’investissement ArtNova. 

Voici quelques extraits de la conversation.

Comment avez-vous appréhendé les enjeux de la parité lors de votre parcours dans le monde du conseil ?

Solenne Blanc : Dans le comité de direction France de Greenwich Consulting, j’étais la seule femme Partner. Au niveau international, il y avait une autre femme, en Suède, sur 20 Partners. Le métier du conseil est loin d‘être paritaire ; les ratios sont souvent sous les 20 % de femmes au niveau Partner. 

Chez EY, j’ai participé à plusieurs formations internationales et aux réflexions internes sur la parité. Les femmes étaient sous-représentées à partir du niveau manager, surtout dans les branches conseil. De 50/50 aux premiers postes, la pyramide hommes-femmes s’étiolait pour arriver à environ 10 % aux plus hauts postes, la déperdition la plus forte étant au moment du passage de senior consultant à manager. J’ai contribué à monter un programme destiné aux senior consultantes de la branche conseil en France. L’enjeu était double : leur faire prendre conscience de la situation, des freins et biais cognitifs existants ; puis, à travers des séances de coaching et des témoignages (d’hommes et de femmes), les amener à identifier ces barrières et trouver les façons de les surmonter.

Qu’en est-il dans les médias ?

SB : Lors de mes années de conseil, mes donneurs d’ordre étaient aussi bien des hommes que des femmes. Même si les instances de direction étaient majoritairement masculines, des role models féminins se distinguaient, que ce soit dans les sociétés de production audiovisuelles ou chez les diffuseurs. J’ai travaillé avec Delphine Cazaux, une ancienne manager d’Arthur Andersen, devenue directrice RH et Organisation du groupe M6, DG d’Endemol puis COO du groupe Mediawan. Mère de quatre enfants, elle illustrait pour moi la possibilité d’associer vie de famille et réussite professionnelle et de s’imposer en étant minoritaire dans des environnements masculins. L’enjeu est de transmettre ces messages aux plus jeunes femmes.

Comment êtes-vous arrivée à Beaux Arts & Cie ?

SB : En 2017, je voulais m’investir dans un projet entrepreneurial tout en restant dans le domaine de la transformation des médias qui me passionnait. J’ai alors rencontré Frédéric Jousset, nouveau propriétaire de Beaux Arts Magazine qui avait pour projet de développer un écosystème de médias et de services autour du magazine. J’y ai vu l’opportunité de capitaliser sur mon expérience dans le conseil tout en m’épanouissant dans une expérience entrepreneuriale. À cela s’ajoutait ma passion pour l’art et la culture. Leader de son secteur, ce média était déjà le plus grand tirage d’un magazine d’art en France et dans le monde, assorti d’une importante activité d’édition. La base était là, mais le magazine n’avait encore opéré ni transformation numérique ni diversification. De 2017 à aujourd’hui, le groupe Beaux Arts & Cie est passé d’environ 25 personnes à 90. 

D’abord directrice de la holding, j’ai piloté des projets de croissance externe et de développement autour de la marque Beaux Arts, en restant pour un temps Senior Advisor pour EY sur les sujets médias. En 2020, la holding est devenue un fonds d’investissement dans les industries culturelles et créatives, ArtNova. Doté de 100 millions d’euros, le fonds investit en participations minoritaires ou majoritaires dans des sociétés ayant atteint un certain niveau de maturité pour les aider à se développer, ou dans des projets de réhabilitation du patrimoine culturel, comme le Hangar Y. En 2021, j’ai pris la direction générale du groupe Beaux Arts & Cie, en parallèle de la direction générale de ArtNova. Notre comité de direction est au ⅔ féminin, ce qui est un changement assez radical par rapport à mes expériences précédentes.

Qu’appréciez-vous le plus à votre poste actuel et dans le travail de Beaux Arts & Cie ?

SB : La diversité des sujets, la capacité à imaginer des projets en partenariat avec des institutions culturelles, des start-ups et des entreprises, et ainsi créer des passerelles entre les mondes de l’entreprise et de la culture, du public et du privé. Nous jouons un rôle de défricheur et de transmetteur et portons la conviction que susciter la curiosité par la rencontre avec l’art sous toutes ses formes est un déclencheur de créativité et d’innovation. Au sein même de nos équipes, l’alchimie entre des métiers, personnalités et profils variés est passionnante à créer et à animer.

Vous avez travaillé dans des structures de tailles et de secteurs divers. Quels critères peuvent expliquer des niveaux de mixité différents entre deux structures ?

SB : Ce qui joue surtout est le secteur dans lequel s’inscrit l’entreprise. Chez Greenwich, il s’agissait du secteur des télécommunications où les hommes sont plus nombreux en sortie d’école. C’est donc déjà en amont qu’il faut agir en amenant davantage de jeunes femmes vers les études scientifiques. Chez Beaux Arts, qui est une société de taille équivalente, les femmes sont en majorité d’abord parce que le secteur de la culture compte plus de femmes dès les filières d’origine. Dans la culture, la part du secteur public influe également sur les chiffres, car le public a eu plus tôt que le privé des ambitions fortes en matière de parité. Cette exemplarité se retrouve dans les médias où l’on constate que les femmes occupant des postes de direction sont principalement présentes dans le secteur de l’audiovisuel public.

Pourquoi promouvoir la parité hommes-femmes ?

SB : Ma conviction est que la mixité est essentielle pour la performance et le dynamisme de l’entreprise, de nombreuses études l’ont d’ailleurs démontré. Il faut instaurer une logique d’équilibre et être sensible à la diversité, quelle qu’elle soit : diversité de genres mais aussi de points de vue, de formations, d’origines. 

Promouvoir l’équilibre hommes-femmes n’est pas un combat chez Beaux Arts, les femmes y ont des rôles clés à tous les niveaux. En revanche, les start-ups dans lesquelles nous avons investi sont surtout portées par des hommes. Promouvoir l’entrepreneuriat féminin est donc important. Des associations comme la Journée de la Femme Digitale (JFD) s’emparent de ce sujet.

Selon vous, quels sont les moyens pour faire progresser la parité hommes-femmes ? 

SB : Il faut repérer les endroits de déséquilibre et s’efforcer de prendre des mesures adéquates à tous les stades de développement des carrières. Il y a à mon sens plusieurs leviers à activer, au-delà des quotas qui, bien que nécessaires en cas de déséquilibres extrêmes, portent le risque d’être appréhendés négativement en faisant craindre que le critère de performance ne passe au second plan. 

L’un consiste à renforcer la capacité des femmes à se projeter dans certains postes : le plafond de verre ne vient pas systématiquement d’un système de cooptation inconscient qui exclurait les femmes. Il vient également des barrières que les femmes se mettent elles-mêmes. Un chiffre m’a marquée : en moyenne, une femme postule au poste du dessus quand elle estime avoir 120 % des compétences requises là où les hommes le font dès 80 %. Pour lever ces freins, la formation, le coaching et la mise en avant de role models féminins sont très efficaces, nous en avons fait l’expérience chez EY. Dans des environnements globalement assez masculins, il peut ainsi être utile de mettre davantage en avant les femmes par des prises de parole internes lors de séminaires par exemple. Les managers ont aussi un rôle à jouer en poussant les femmes à prendre plus de risques et de responsabilités. Il n’y a pas que les femmes qui doivent sur ce sujet devenir des role models, les hommes aussi.

Il y a donc un autre levier : faciliter la prise de conscience de certains schémas qui entravent les carrières des femmes. J’ai pu constater que mes collègues masculins n’y étaient pas toujours sensibilisés si bien qu’une discrimination involontaire pouvait s’installer. Pour autant, il faut se garder de tout discours culpabilisant qui serait contre-productif et ne refléterait pas la diversité des positions des hommes sur le sujet de la parité.

Un dernier levier dépasse la sphère de l’entreprise stricto sensu. Il s’agit de l’équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle, et plus particulièrement du partage équilibré des responsabilités familiales entre hommes et femmes. Plusieurs études montrent que les stéréotypes persistent sur ce point et peuvent créer des obstacles à la parité. Par exemple, les femmes ayant des jeunes enfants ne sont pas toujours en mesure de participer aux temps de sociabilité en fin de journée, ce qui peut entraîner des conséquences sur leur inclusion au sein de l’entreprise ou sur l’accès à de l’information informelle. Cette question de la disponibilité peut ainsi être un critère excluant. Aujourd’hui, il y a un rééquilibre naturel car les jeunes pères de famille partagent de plus en plus ces contraintes. Cependant, pour instaurer une réelle égalité, il est crucial que l’entreprise reste attentive à ce type de barrières.

En dehors des murs de l’entreprise, quels sont les autres leviers à actionner ?

SB : Les initiatives mettant en lumière les femmes dirigeantes sont efficaces pour valoriser les parcours, pour donner envie et donner des clés de réussite. Par exemple, je fais partie des 100 Femmes de Culture, une association qui distingue chaque année 100 femmes – dirigeantes, artistes, entrepreneuses – afin de faire rayonner des figures féminines du secteur. Je suis également membre du Club des dirigeants d’ETI d’Île-de-France et du conseil d’administration du Medef Paris. S’intégrer dans de telles instances et prendre la parole dans les débats publics permet d’augmenter la représentativité des femmes dirigeantes.