Ve Agora du Grand Paris – smart city : smart or sensible ?

Ve Agora du Grand Paris – smart city : smart or sensible ?

Organisée par Paris-Ile de France Capitale Economique, la Fédération Régionale des Travaux Publics F.R.T.P. Ile-de-France et VINCI SA, cette Ve Agora du Grand Paris confronte la vision des pure players de l’intelligence artificielle (GROUP XXII) et des majors de la construction (VINCI – Leonard) pour comprendre la portée des nouvelles technologies et leurs applications concrètes dans les métiers de la construction.

Intervenants :

  • Philippe DEWOST, Directeur de Leonard, VINCI

Le programme Leonard du groupe Vinci vise à déployer l’innovation, la prospective et à développer l’entrepreneuriat dans toutes les activités du groupe pour accélérer sa transformation.

  • William ELDIN, Dirigeant fondateur, GROUP XXII

Entreprise d’innovations technologiques spécialisée dans l’intelligence artificielle et les contenus immersifs et interactifs (réalité virtuelle et augmentée).

La révolution numérique bouleverse-t-elle les pratiques des constructeurs ou bien s’inscrit-elle à la marge dans les métiers du BTP ?

La révolution numérique, c’est-à-dire l’irruption de la donnée dans tous les domaines, est déjà terminée mais nous percevons tout juste à quel point celle-ci va bouleverser nos usages et les métiers du bâtiment.
C’est le cas du groupe Vinci qui regroupe 2 familles de métiers. D’une part, les concessions en qualité d’opérateurs d’infrastructures autoroutières, portuaires, etc.

D’autre part le contracting. Les tunneliers qui forent les sols sont de véritables data-centers qui analysent en permanence les profondeurs et produisent des stocks de données propriétaires qui sont par exemple hors de portée d’un satellite.

Dans tous les cas, l’accès prioritaire et exclusif à la donnée est devenu un enjeu capital. Et malgré les apports de la révolution numérique, la construction reste un métier d’artisanat, où chaque ouvrage constitue un prototype unique et difficile à répliquer.

Comment les services d’intelligence artificielle vont-ils répondre aux besoins de la population ? Sont-ils pleinement intégrés dès la conception des infrastructures ou interviennent-ils pour corriger les décalages issus des usages ?

Les innovations technologiques sont de plus en plus intégrées en amont dans la construction des bâtiments. Etant donné que les structures existantes posent des contraintes fortes quant à la scalabilité des modèles déployés (le fait de les reproduire en série), les acteurs de l’IA travaillent de plus en plus avec les constructeurs.

Les aéroports ultra-modernes sont conçus pour être dotés de milliers de caméras, tandis que les plateformes plus anciennes doivent être équipées, ce qui nécessite un prototypage pour positionner ces capteurs.

L’enjeu est donc de passer de l’artisanat au réplicable dans le logiciel. Mais les algorithmes de détection de colis ne sont pas transposables tels quels en tout lieu.

En la matière, la filiale Vinci Energies apporte au groupe Vinci une expertise précieuse en intégrant les automatismes et le logiciel pour rendre le bâtiment intelligent jusqu’à son monitoring.

Philippe DEWOST, Directeur de LEONARD (VINCI), Alexandre MISSOFFE, Directeur général de Paris Capitale Economique, William ELDIN, Président fondateur de XXII GROUP

Les données collectées permettent-elles de réaliser plus efficacement et plus rapidement les chantiers ?

Les tunneliers et leur analyse des sols permettent de corriger en continu nos connaissances sur la réalité des terrains et le suivi de la déformation des sols pour anticiper leur impact sur les ouvrages d’art. L’enrichissement des bases de données est une aide à la maintenance prédictive à grande échelle et permet d’optimiser les modes d’intervention.

Grâce au décuplement de la puissance de calcul, les caméras apprennent comme les yeux humains pour répondre besoins de sécurité. Plusieurs milliers de caméras filment des scènes complexes : il faut toujours une puissance de calcul pour analyser pixel par pixel.

D’autres caméras déployées sur les autoroutes par exemple comportent peu de pixels mais les algorithmes peuvent détecter plus rapidement et avec un taux d’erreur plus faible que l’opérateur humain les situations dangereuses (par exemple : véhicule en sens inverse).

L’utilisation des données justifie-t-elle un coût supplémentaire pour les utilisateurs ? Faut-il revoir le modèle économique pour valoriser ces données ?

Nous n’avons pas encore pris collectivement la mesure de la valeur des données que nous produisons. L’open data comporte un volet citoyen fondamental mais questionne la façon dont on partage la donnée. Pour valoriser les données de sous-sol et de construction, il serait judicieux de ne pas toujours partager les données brutes mais de les restituer dans des cadres précis.
Alors que l’on cherche à développer des algorithmes toujours plus intelligents, le règlement RGPD de protection des données pose des contraintes fortes.

La question de la tarification se pose dans le cas de la détection des bagages abandonnés : cette technologie bénéficie directement à l’usager mais qui ne la paie pas pour autant.

En tant que jeune entreprise innovante, si l’on veut à la fois être « utile », changer le monde des usagers, répondre à des appels à projets et vendre à des grands groupes : quel business model adopter ? Comment monétiser le développement coûteux d’algorithmes ?

Les grands groupes n’achètent pas d’intelligence artificielle « généraliste » : il faut des applications et des usages précis.

William ELDIN
Président Fondateur de XXII GROUP

© JGP

Un pure player travaille-t-il plus avec les constructeurs ou directement avec les utilisateurs finaux ?

Dans le « business de la compétence », chaque cas d’utilisation correspond à une compétence. On peut imaginer une « marketplace » des compétences (à l’image du cerveau humain) où chaque système viendrait apprendre selon ses besoins et composer une alliance d’algorithmes : détection d’une chute, d’une agression, etc.

Pour rendre les services espérés, chaque cas d’utilisation devra allier plusieurs compétences et les orchestrer, à l’image du recrutement d’un profil professionnel.

Alors que les révolutions numériques se succèdent, pourquoi la construction des infrastructures semble prendre plus de temps qu’au siècle dernier ?

Les éditeurs de logiciel font la promotion du BIM (Building Information Modeling), mais la modélisation numérique d’un bâtiment dit finalement peu de choses sur la manière de réaliser le bâtiment, l’artisanat prime dans les choix de chantier et le savoir-faire reste difficile à modéliser et à dupliquer.

De plus, l’intégration verticale n’est pas encore démontrée, la maintenance n’étant pas toujours réalisée par le même opérateur.
La réalité augmentée offre un réel gain de temps bénéfique pour tous car elle permet d’envoyer rapidement n’importe quel technicien sur le terrain, en liaison avec un expert à distance qui intervient en montrant par surimpression les manœuvres de maintenance à effectuer.

La réalité virtuelle et la réalité augmentée sont des « technologies escalier » qui vont servir à de nombreuses autres … dans les limites de la technologie : la schématisation du réseau électrique souterrain par casque « hololens » faciliterait pourtant grandement les interventions d’énergéticiens in situ.

Philippe DEWOST
Directeur de LEONARD (VINCI)

Comment peut-on inscrire la smart city et la technologie dans des tissus urbains constitués, uniques dans leurs cultures et leurs héritages ?

L’intelligence artificielle doit se nourrir des problématiques et priorités de ceux qui sont sur le terrain.

A la croisée des routes de commerce, accumulant les stocks et combinant les flux, les grandes villes sont le lieu de toutes les très grandes inventions et constituent un objet humain collectif extrêmement scalable.

Les visions de la smart city produisent parfois des visuels sans humains, alors que les nouvelles technologies nous permettent d’ajouter une dose d’intelligence collective dans l’aménagement de la cité. Exemple concret, le projet Urban Fabric Organisation propose d’associer des (smart) citoyens à la consultation de projets d’habitat. Grâce à des simulations en temps réel, les habitants peuvent arbitrer entre leurs souhaits de cadre de vie et les justes conséquences de leurs choix en termes d’impôts locaux notamment.

Quels sont les facteurs accélérateurs et les freins pour déployer l’IA dans la ville ?

Il faut commencer par comprendre cette révolution, se former sur ces enjeux numériques et reposer en permanence la question des finalités. Quand on sauve des vies humaines grâce à des machines, quand on parvient à faire respirer des villes : on n’hésite plus !

Il s’agit d’un enjeu d’éducation majeur, pour les enfants comme pour le personnel politique. Le déploiement de la smart city sera aussi fonction de la régulation et de la perception par les Etats de l’enjeu de souveraineté que constitue l’IA.