Parité en Portraits #8 – Chiara Corazza

Parité en Portraits #8 - Chiara Corazza

Paris-Île de France Capitale Économique a eu le plaisir de rencontrer Chiara Corazza pour le 8e entretien de notre série. Distinguée en 2023 comme « Femme Légendaire de la Décennie » par le Women Economic Forum, Chiara Corazza s’engage depuis des années pour l’inclusion des femmes dans l’économie afin de leur permettre de contribuer pleinement à relever les défis de nos sociétés. Elle nous offre ici son regard international et dynamique sur les enjeux de parité et d’égalité femmes-hommes, forgé par un sentiment de révolte permanent contre l’injustice et une volonté de s’enrichir des différences.

Née sur les collines de Parme qui dominent les routes du Sel et des pèlerinages et la plaine du Pô, un endroit de passage et de liberté historique, Chiara Corazza a toujours voulu servir l’intérêt général. C’est vers le journalisme qu’elle s’est d’abord tournée, mettant à contribution sa connaissance de cinq langues et son ouverture internationale. En 1985, arrivée en France par mariage, elle est recrutée à la Région Île-de-France en tant que directrice des affaires internationales jusqu’en 1999. Après trois ans en tant que directrice de la candidature de Paris pour les Jeux Olympiques de 2008, elle devient directrice générale de Paris-Île de France Capitale Économique. De 2017 à 2021, elle prend ensuite les rênes du Women’s Forum for Economy and Society. Aujourd’hui, elle continue à s’engager et est notamment membre du Conseil Consultatif pour l’Égalité des Genres du G7 et représentante du secteur privé pour la France au G20 EMPOWER, ainsi que Professeur Affilié de l’ESCP Business School et membre du Conseil Economique et Social Européen. Depuis 2009, elle est membre du Board de l’Arab International Women Forum.

Voici quelques extraits de la conversation.

Quels ont été les moments clés de votre parcours de journaliste ?

Chiara Corazza : À 16 ans, j’étais convaincue que l’outil le plus efficace pour changer le monde était la plume du journaliste. Les éditorialistes avaient alors un pouvoir immense ; des journalistes de renom interviewaient Kadhafi ou Arafat. J’ai commencé ma carrière en tant que volontaire au Daily American, un des journaux hérités du plan Marshall, alors que j’étais encore au lycée. 

Après le bac, je cherchais à entrer officiellement dans un journal, mais j’ai d’abord saisi l’opportunité de prendre en charge les cours d’allemand de la quatrième à la terminale à Saint-Dominique, l’école française de Rome. J’amenais les élèves au Goethe-Institute, au cinéma, dans les lieux de Rome où les Allemands étaient passés. J’étais très populaire ! En parallèle, j’allais aux cours du soir de l’Université La Sapienza et je me suis lancée dans une thèse avec comme directeur Giuliano Amato, alors professeur de droit constitutionnel comparé. Obtenue avec mention summa cum laude et publiée, elle portait sur les rapports entre le Président de la République et le Premier ministre sous la Ve République française. C’était une « thèse expérimentale », la France n’ayant pas encore connu de cohabitation. 

En 1980, je suis entrée au desk international du journal Il Globo, le plus puissant journal italien de l’époque. Ma force était de parler cinq langues et j’ai commencé par traduire les dépêches de l’AFP sur la guerre du Liban et celles en espagnol sur les Malouines. Je lisais tous les grands titres de la presse internationale : Der Spiegel, The Guardian, The Financial Times, Le Monde…. J’ai alors proposé de créer et tenir une rubrique intitulée « L’opinion des autres » qui rapportait les points de vue internationaux sur l’Italie. Une autre de mes propositions au Directeur fut de dresser un portrait inédit de Margaret Thatcher. Je souhaitais montrer une image autre que celle de la « dame de fer ». Décrocher cette entrevue pendant 1h30 avec elle à Downing Street m’a valu de signer pour la première fois un article de mes initiales.

Mon unique frustration au Globo a été l’interdiction de me joindre aux journalistes autorisés à embarquer sur un bateau militaire pour le Liban pendant la guerre en 1981. Le directeur m’a dit « Trop blonde, trop jolie, trop jeune : je ne prends pas la responsabilité ». Il avait peut-être raison sur le fond ; il était encore très difficile à l’époque pour les femmes journalistes d’aller sur les terrains de guerre. J’ai pris ma revanche peu de temps après, lorsque l’information est tombée à une heure très tardive que le Belgrano, le bateau amiral argentin, avait coulé. J’ai compris que c’était la fin de la guerre des Malouines et, en pleine nuit, j’ai convaincu en salle de typographie de changer la première page. Au matin, nous étions l’unique journal en Europe avec ce scoop, avant même les Anglais. 

Comment s’est passée votre arrivée en France en 1985 et votre expérience à la Région ?

CC : Je suis arrivée en France par amour au début de l’année 1985, et j’ai fait face à plusieurs défis. Je voulais m’intégrer à tout prix, et surtout plaire à ma nouvelle belle-famille. J’ai pourtant tenu à garder mon nom de jeune fille, car j’avais eu tant de mal à le faire apparaître en bas de mes articles et car je ne souhaitais pas être considérée comme la ‘belle-fille de’. Je voulais faire mes preuves seule. Il y avait aussi à relever le défi de garder ma double nationalité anglaise et italienne, alors que j’aurais pu devenir française du fait de mon mariage. Moi, j’étais et resterai toujours une véritable européenne.

Après ma formidable expérience italienne au Globo, je souhaitais continuer à être journaliste. Ma rencontre avec Michel Giraud, président du Conseil régional d’Île-de-France, a toutefois donné un tournant décisif à ma carrière. J’ai rejoint son cabinet en tant que conseillère pour les affaires internationales pour créer Metropolis, la première association mondiale des grandes métropoles. L’idée était de faire bénéficier les métropoles en voie de développement des expériences des villes du Nord. C’était déjà le temps des métropoles et de la décentralisation.

Forte du succès de cette coopération multilatérale, j’ai considéré qu’il serait pertinent de mettre en place une coopération bilatérale avec d’autres régions capitales. J’ai persuadé le Président et les élus de la Région que nous pouvions être des précurseurs en matière d’échanges économiques, de transferts de savoir-faire et d’ingénierie de formation en établissant des liens privilégiés avec nos homologues, les acteurs locaux du monde entier. C’est ainsi que avons mis en place une politique ambitieuse d’accords de coopération avec d’autres grandes métropoles, d’abord avec Beijing et Montréal,  puis Tokyo, Moscou, Varsovie, Hanoï, Budapest, Prague, Madrid, Santiago du Chili, Johannesburg, Manille, New Delhi, Dakar, ainsi que Beyrouth,  avec notamment la réhabilitation de l’emblématique parc Bois des Pins. La Région devient ainsi un véritable outil de diplomatie économique, capable de promouvoir efficacement les entreprises françaises auprès des décideurs politiques et économiques de nos partenaires, de développer nos exportations, de créer des centres de formation et de remporter des marchés stratégiques.

C’était totalement nouveau, et pas uniquement en France. On a commencé à donner un nom à cette politique inédite : la coopération décentralisée, une manière efficace de porter des intérêts français dans le monde. J’ai travaillé en étroite concertation avec le Quai d’Orsay et la Direction des relations économiques extérieures et parfois monté des projets à leur demande, à tel point que j’ai été appelée pour contribuer à la création du cadre législatif avec le Quai d’Orsay. Cela a abouti à l’adoption de la loi de coopération décentralisée de 1992. J’ai enseigné plus tard avec grande satisfaction cette nouvelle matière aux étudiants en droit de Paris Descartes.

En m’inspirant de l’exemple de Montréal International, j’estimais essentiel de mettre en place une politique régionale d’attractivité. C’est pourquoi, dès 1995, j’ai créé l’agence pour attirer les investissements internationaux : l’AIE. 

J’ai vécu des années passionnantes à la Région, où j’ai eu le sentiment d’être une pionnière dans la coopération internationale. J’éprouve également une grande fierté d’avoir contribué à obtenir des financements européens importants, après m’être battue pour l’ouverture de l’antenne de la Région Île-de-France à Bruxelles, en partenariat avec la Chambre de Commerce et d’Industrie de Paris.

La mise en place en 1999  d’une nouvelle organisation des directions et services lors de l’alternance politique de la Région, avec entre autres la création d’une vice-présidence en charge des affaires internationales, a quelque peu rabattu les cartes. C’est alors que j’ai saisi l’opportunité offerte par le nouveau président de la Région Jean-Paul Huchon et par Claude Bébéar, Président d’AXA et du Groupement d’Intérêt Public 2008, de promouvoir la candidature de Paris aux Jeux Olympiques de 2008. Je savais que c’était ‘mission impossible’ face à Beijing. Pourtant, j’ai passé trois ans formidables aux côtés de champions olympiques, de présidents des Fédérations internationales, de grandes entreprises partenaires et de membres du CIO. J’ai découvert les règles du lobbying au plus haut niveau, l’importance de chaque détail dans l’organisation et dans la communication. Au-delà de l’intelligence stratégique dont il a fallu faire preuve, préparer cette candidature a aussi impliqué de repenser la Région et ses infrastructures.

À quels types d’enjeux avez-vous été confrontée à cette période en tant que femme ?

CC : C’était une époque où le marché du travail était plus accessible. Dans mon cas, je me différenciais par la maîtrise de cinq langues, une expérience internationale déjà riche, une ouverture d’esprit et un très bon diplôme. Beaucoup de possibilités s’offraient à moi, et je n’ai jamais perçu le fait d’être une femme comme un obstacle.

L’enjeu essentiel était celui de la maternité. À l’époque, être une femme mariée était déjà suspect et, que ce soit en France, en Angleterre, aux États-Unis ou en Italie, une femme enceinte devait attendre d’avoir eu son enfant pour pouvoir travailler. Cela paraît aberrant aujourd’hui grâce aux changements législatifs et sociétaux, mais c’était alors une règle tacite.

Au moment de mon entretien avec le président de la Région, Michel Giraud, j’étais enceinte, mais j’ai oublié de le lui mentionner. Une fois que je m’en suis rendu compte, j’ai appelé sa secrétaire pour l’informer que je ne pourrais malheureusement pas venir à la Région. Le soir même, j’ai reçu une corbeille de fleurs blanches avec un mot du Président : « La France a besoin d’enfants, et moi j’ai besoin de vous ». J’ai commencé immédiatement et n’ai cessé de travailler à la Région pendant 17 ans.  J’ai eu de la chance : le positionnement de Michel Giraud était une exception à l’époque. 

Aujourd’hui, je regrette un peu de ne pas m’être arrêtée plus longtemps aux naissances de ma fille et de mon fils. Je n’ai été absente que trois jours pour chacun, mais cela était monnaie courante à cette époque quand on avait des postes à responsabilité.

Comment a commencé votre engagement pour l’égalité femmes-hommes ? Quels éléments vous ont fait prendre conscience de ce qu’il était possible de faire sur ce sujet ?

CC : Personnellement, mon engagement remonte à mon enfance. Déjà très sensible aux injustices, j’ai toujours cherché à les corriger dans la mesure du possible. Nous sommes trois sœurs et nous savons ce que signifie la solidarité féminine.

Professionnellement, c’est à la Région lors de nos actions d’aide au développement à destination du Mali, de la Mauritanie et de Madagascar que je me suis rendu compte que, pour optimiser notre impact sur les populations, l’atout gagnant était de travailler avec les femmes, qui géraient les foyers et les communautés. À Madagascar, j’avais mis en place un système de micro-crédits via des ONG : la grande majorité des projets que nous sélectionnions étaient portés par des femmes. Non seulement cela se révélait être efficace, mais cela permettait aussi aux femmes d’avoir un rôle, d’être respectées et de gagner en indépendance. À Hanoï, nous avons mis en place une grande initiative avec l’Institut de la Mère et de l’Enfant et nos cours d’informatique ont bénéficié en majorité aux jeunes filles destinées autrement au piquage du riz.

Quel vent vous a menée à Paris-Île de France Capitale Économique en 2002 ?

CC : Depuis mon arrivée en France, j’ai consacré mon énergie au rayonnement et à la promotion de la Région Île-de-France et de ses acteurs dans le monde entier. Quoi de plus naturel donc, après la candidature pour les JO, que d’accepter la proposition de diriger Paris-Île de France Capitale Économique, que je connaissais bien, afin de poursuivre une mission d’intérêt général qui allie les secteurs public et privé au service de la région et de ses habitants ?

À mon arrivée à PCE, nous avons avec le nouveau président Thierry Jacquillat, DG de Pernod Ricard, une vision ambitieuse : faire de l’Île-de-France l’une des régions les plus attractives du monde. 

Nous avons alors décidé de mener des roadshows à l’étranger avec des entreprises françaises et internationales, ambassadrices de l’attractivité de la France. Nous tenions ainsi un discours business crédible pour nos interlocuteurs et potentiels investisseurs, avec des éléments de communication innovants. Nous sommes allés aux États-Unis et au Japon, bien sûr, et nous étions précurseurs en nous rendant dès 2003 dans les pays du Golfe et en Inde, puis en Chine, au Brésil, en Turquie et en Corée du Sud. Nous avons aussi été parmi les premiers à promouvoir le projet du Grand Paris à l’international à partir de 2008. Nous avons poursuivi cette stratégie qui portait ses fruits avec le président suivant, Pierre Simon, également président de la Chambre de Commerce et d’Industrie de 2010 à 2017. Le président de la Société du Grand Paris et les principaux acteurs du projet étaient toujours à nos côtés lors de ces missions. Christine Lagarde, à l’époque ministre du Commerce Extérieur et de l’Attractivité puis ministre de l’Économie et des Finances, était la marraine de la remise des Trophées de l’Investisseur de l’Année. Ensemble en 2009, nous avons invité 200 femmes arabes membres de l’Arab International Women’s Forum, qui étaient ministres, cheffes d’entreprise, investisseuses. Ce fut un grand moment pour PCE, avec une forte mobilisation des acteurs et une première en France.

Une autre activité de PCE a été le développement d’études de benchmark international inédites sur l’attractivité des grandes métropoles mondiales, que nous présentions dans le monde entier, y compris au World Economic Forum. Ces études étaient aussi de précieuses sources pour nos groupes de travail composés de chefs d’entreprise et d’experts reconnus et soutenus selon les thématiques par des cabinets de conseil de renom. Avec eux, nous portions nos préconisations pour améliorer l’attractivité de la France et de la région capitale aux élus locaux et au gouvernement.

Lors de l’organisation des missions, des groupes de travail et des forums de PCE, j’ai toujours eu à cœur d’associer les talents féminins. Il y avait des stars dans chaque secteur, mais méconnues par ailleurs. Après avoir repéré une trentaine de femmes dirigeantes avec lesquelles je travaillais, je décide alors de fonder au sein de PCE le Cercle des Femmes du Grand Paris, lancé en présence de l’ambassadrice des États-Unis en 2016.

Ces quinze années ont été captivantes. PCE a contribué à faire comprendre l’importance de l’attractivité auprès des décideurs politiques et économiques. Je suis heureuse de notre contribution collective au projet du Grand Paris et à l’amélioration de la vie quotidienne des Franciliens. Je suis fière d’avoir pu fédérer les meilleurs talents et les meilleures expertises. Nous avons réussi à créer une cohésion autour d’un objectif de bien commun qui dépasse les intérêts particuliers.

Lorsque vous êtes devenue Directrice générale du Women’s Forum for the Economy & Society en 2018, comment avez-vous abordé les enjeux d’égalité femmes-hommes ?

CC : J’ai vu le Women’s Forum comme une opportunité de « give back to the community », comme un moyen pour montrer que les femmes méritent autant que les hommes d’être autour de la table et qu’elles peuvent apporter une véritable contribution pour faire face aux défis de notre monde. 

Une de mes premières actions a été de demander de transférer le Women’s  Forum de Deauville à Paris, car il me paraissait essentiel que ce forum sur l’inclusion des femmes dans l’économie et la société se tienne dans une ville globale. En plus de Paris, nous avons ensuite développé un Forum sur chaque continent. Trois mois après mon arrivée, j’ai organisé un Women’s Forum inédit à Rome, à la Villa Médicis, pour célébrer le rôle des femmes dans les 60 ans de construction européenne. 

Un autre changement essentiel a été de croiser les enjeux de genre avec les défis qui touchent l’humanité tout entière. Nous nous sommes donc focalisés sur l’intelligence artificielle, le climat, l’éducation – notamment dans les STEM (science, technologie, ingénierie et mathématiques) -, la santé, l’accès au capital et l’entrepreneuriat. Lors de mon premier Global Meeting à Paris en tant que directrice générale, une table-ronde était par ailleurs consacrée aux smart cities et au rôle des femmes pour dessiner les villes du futur. Un véritable changement de paradigme. 

Il fallait cependant nous doter d’une légitimité et de compétences sur ces sujets. M’inspirant du modèle de PCE, nous avons alors rapidement fondé des groupes de travail dont les résultats et les préconisations étaient restitués lors de nos Forums. Appelés Daring Circles, ils produisaient également des données, des benchmarks, grâce au support de knowledge partners, de grands cabinets de conseil international.

Ces groupes de travail étaient à géométrie variable, en présentiel et à distance, pour permettre une participation internationale à haut niveau.

Une autre innovation a été le lancement du baromètre du Women’s Forum qui compare la réalité des données sur la parité femmes-hommes aux perceptions. Par exemple, 53 % des hommes et femmes interrogés dans les pays du G7 pensent qu’il est impossible pour une femme de faire carrière et d’être une bonne mère, et 40 % sont convaincus que les cerveaux des hommes et des femmes sont différents : les hommes seraient plus scientifiques et les femmes plus orientées vers le care. Ce baromètre est un outil précieux pour alerter les chefs d’État et de gouvernement et les décideurs économiques avec des éléments solides, puisque 78 % des répondants pensent que l’égalité des genres est primordiale dans la politique d’un pays et 76% qu’elle est essentielle pour la réputation de l’entreprise.

Avec cette nouvelle vision, nous avons valorisé des femmes du monde entier, role models connues et moins connues et leurs success stories et nous avons donné de la visibilité aux hommes qui agissent pour l’égalité des genres, tout en appelant à l’action avec des données et des propositions concrètes. De plus en plus d’acteurs ont voulu se joindre au tour de table.

Quelle a été votre stratégie à l’international avec le Women’s Forum ?

CC : Le but était pour moi d’aller là où nous pourrions avoir le plus d’impact et faire progresser concrètement l’égalité des genres. Mon objectif était de sensibiliser les grands décideurs politiques et économiques du monde entier et d’être force de proposition lors des instances mondiales qui permettent de créer un environnement favorable aux changements. 

J’ai donc proposé de positionner le Women’s Forum de façon à faire avancer les questions qui nous tiennent à cœur lors des G7 et G20. 

Aussi, lors du G7 sous présidence canadienne (2018), nous avons organisé une nouvelle formule de Women‘s Forum à Toronto. Nous avons fait passer des messages forts directement à Justin Trudeau, aidées également par sa femme de l’époque Sophie Grégoire. De plus, nous avons publié pour la première fois un call-to-action pour les chefs d’État et de gouvernement. C’est d’ailleurs à cette occasion que Justin Trudeau a lancé le G7 Gender Equality Advisory Council (GEAC), l’organe officiel du G7 pour les enjeux liés au genre.

À la veille du G20 japonais (2019), nous avons tenu notre Forum à Kyoto, présentant notre charte d’engagement sur le potentiel de contribution des femmes dans la lutte contre le changement climatique. C’était un véritable changement de vision, transformant les femmes de simples victimes du changement climatique en protagonistes pleinement engagées. Cette charte a été  signée par les grands dirigeants de la planète.

Au G7 français à Biarritz (2019), j’ai axé l’argumentaire sur la nécessité d’attirer davantage de femmes dans les STEM. La France par exemple est un pays d’excellents ingénieurs, mais ne compte que 15 % de femmes ingénieures. Par comparaison, l’Iran en compte 60 %, l’Arabie saoudite plus de 50%, les Émirats Arabes Unis 65 %, la Malaisie 50 % et l’Algérie 41%. Si la France devient aussi un pays d’« ingénieuses », cela renforcerait son attractivité car ces métiers sont essentiels pour préparer l’avenir. 

C’est ainsi au lendemain du sommet de Biarritz que j’ai été missionnée par le gouvernement français sur comment attirer et retenir davantage de femmes dans les métiers du futur. Mon rapport intitulé « Les femmes au cœur de l’économie – La France pionnière du leadership au féminin dans un monde en pleine transformation » a été réalisé grâce à la contribution de mon ancien collaborateur à PCE, l’économiste Matteo Cadenazzi, après une large consultation de nos partenaires. J’ai eu l’honneur de remettre mes propositions le 2 février 2020 à Bercy à  Bruno Le Maire (ministre de l’Économie et des Finances), Marlène Schiappa (alors secrétaire d’État chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes et la lutte contre les discriminations), Frédérique Vidal,  Agnès Pannier-Runacher et Cédric O. 

Je suis fière de l’impact et du retentissement de ce rapport. Il a été source d’inspiration en France et à l’étranger. C’est une référence avec des bonnes pratiques et des mesures concrètes à prendre pour que les femmes participent activement, aux côtés des hommes, à concevoir les métiers du futur et pour mettre en place une gouvernance plus équilibrée.

En pleine pandémie de COVID-19, nous avons aussi été extrêmement engagés lors de G20 italien (2021). À cette occasion, j’ai lancé l’idée « She-covery », promouvant une relance post-COVID qui met les femmes au cœur du dispositif économique, social et financier. Cette vision a été bien comprise, notamment par Mario Draghi, alors président du Conseil des ministres d’Italie, et a été reprise à l’étranger. Nous avons présenté nos propositions lors du Women’s Forum de Milan et avons eu la satisfaction de voir figurer dans le communiqué final des chefs d’État et de gouvernement l’importance de l’éducation STEM pour les filles et les femmes. Un grand succès. 

Nous avons nous-mêmes capitalisé sur cette notion par la suite, en faisant des STEM l’accélérateur et le catalyseur du leadership inclusif. Aujourd’hui, même si le nombre de femmes n’augmente pas assez vite dans ces secteurs dans le monde, la prise de conscience est indéniable. 

Quels sont vos axes de travail aujourd’hui ?

CC : Je reste très active dans le cadre de mes engagements au G7, au G20 et à l’ESCP notamment. 

Je représente la France pour le secteur privé au G20. Dans ce cadre, j’identifie les champions français en matière d’égalité des genres afin de les mettre en valeur et de souligner les bonnes pratiques. Je me suis particulièrement investie pour le G20 en Inde (2023) dans un projet autour des STEM. Nous avons mis en place Tech Equity, une plateforme gratuite en 120 langues, financée en partie par la Fondation Bill et Melinda Gates. Cette plateforme offre une série de MOOC permettant d’acquérir des compétences technologiques grâce à l’implication de grandes universités et d’experts renommés. J’espère que son financement continuera à être soutenu par les prochains G20.

Au G7 GEAC, j’ai beaucoup travaillé sous présidence allemande pour favoriser l’accès au capital et développer l’entreprenariat féminin. Je préconise notamment d’utiliser davantage les appels d’offres comme levier. 240 millions des femmes sont à la tête d’entreprises dans le monde, mais ces dernières n’accèdent qu’à seulement 1% des financements liés aux appels d’offres.

Au G7 sous présidence italienne, j’ai choisi de me focaliser sur la thématique des conflits : dans un monde confronté à une polycrise profonde, les femmes ont plus que jamais un rôle à jouer dans la diplomatie féministe pour aborder l’urgence climatique, mais également les enjeux de cybersécurité (elles n’y sont que 11%) et d’intelligence artificielle (22%) aux tables de négociation, pour contrer la désinformation, pour établir des budgets avec un prisme de genre, etc. Beaucoup de sujets essentiels et de grande actualité.

Ce G7 est la première fois que le G7 GEAC travaille sous la présidence d’une femme premier ministre,  Giorgia Meloni. Cependant, il faut rester vigilants.

Je travaille également avec l’École supérieure de commerce de Paris (ESCP) pour mettre en place un institut de leadership inclusif. L’objectif serait de créer un institut ouvert à tous, combinant des enseignements classiques de grande école de commerce (finance, marketing, gestion, etc.) avec des cours dans les domaines de l’informatique et du numérique (IA, cybersécurité, open data, cloud computing, etc.). Ce deuxième axe ne vise pas à former des ingénieurs spécialisés, mais à donner aux futurs décisionnaires les clés pour prendre des décisions éclairées. 

Promouvoir une évolution des investissements est une autre de mes batailles, pour qu’ils tiennent compte de l’impact sur les femmes et de la distribution des bénéfices. Cela fait écho tout autant à la diplomatie féministe et au devenir de l’argent étatique qu’aux fonds des grands investisseurs tels Blackstone ou BlackRock. Par exemple, le fonds souverain norvégien impose déjà un minimum de 30 % de femmes dans les instances dirigeantes. La gouvernance est un premier pas, mais elle ne doit pas être le seul critère pris en compte.

Je suis aussi très engagée pour promouvoir les femmes dans les instances décisionnaires et j’interviens autour de ces travaux à l’échelle européenne et mondiale. J’apporte aussi ma contribution et mon soutien pour valoriser des bonnes pratiques et des femmes de talent dans des événements tels que le «  Forum de Paris sur la Paix » , le Forum Europe/Afrique, Women for Future by la Tribune, Women in Tech, des Forums sur le climat, le International Congress and Convention Association… Je suis membre du Board depuis longtemps de l’AIWF et je suis partie prenante du Women Economic Forum. Le prochain est prévu en novembre 2024 à Rome. C’est ma manière de rendre à la communauté tout ce que j’ai reçu dans ma vie passionnante. Je suis également la marraine de plusieurs associations, dont les Subversives ou le Cercle des femmes de la Cybersécurité, et je rencontre très régulièrement les jeunes générations pour qu’elles se mobilisent, aient confiance en elles, et préparent au mieux leur futur.

Selon vous, quels sont les freins actuels à la parité et à l’égalité femmes-hommes ?

CC : Il faut tout d’abord noter que la situation a beaucoup évolué depuis mes débuts. On observe notamment une répartition plus équitable de la charge familiale entre les parents, grâce à des mesures telles que le congé paternité. Mais les freins persistent, souvent sous la forme de stéréotypes dans lesquels les femmes s’enferment parfois elles-mêmes.

Il y a encore quatre obstacles majeurs selon moi : l’écart salarial entre hommes et femmes à postes équivalents, l’accès aux postes de pouvoir, l’accès au capital et, si on se détache de la vie économique, les inégalités dans le domaine de la santé.

En matière de santé, de nombreuses maladies telles que les maladies cardiaques sont mal diagnostiquées chez les femmes car leurs symptômes peuvent différer de ceux des hommes. De plus, les essais cliniques souffrent souvent d’une sous-représentation féminine, ce qui peut entraîner une mauvaise évaluation des effets secondaires spécifiques aux femmes. Bien que notre espérance de vie soit généralement plus longue que celle des hommes, ces années supplémentaires sont généralement synonymes de mauvaise santé et de dépendance en EHPAD. Le facteur économique aggrave également les inégalités : les femmes aux ressources limitées tendent à sacrifier leur propre santé pour privilégier celle de leurs enfants ou de leur partenaire. Il est donc crucial de porter une attention accrue à la santé des femmes.

En ce qui concerne la vie économique, le cadre législatif en France a évolué avec des lois comme la loi Copé-Zimmermann et surtout la loi Rixain, favorisant l’accès des femmes aux postes de pouvoir dans les grandes entreprises. La situation est moins favorable dans les petites et moyennes entreprises, ce qui peut en partie être expliqué par une flexibilité moindre pour tous. J’essaie aujourd’hui d’exporter le modèle de la loi Rixain à l’étranger, car elle encourage la création de viviers de talents féminins au sein des entreprises.

L’accès au capital constitue un autre obstacle majeur, présent dans de nombreux pays. Une défiance persistante à l’égard des femmes entrepreneures freine leur accès au financement. Les femmes doivent souvent fournir plus de garanties que leurs homologues masculins pour obtenir des prêts ou des investissements. Dans des pays comme l’Inde, l’absence de garanties foncières des femmes réduit leurs possibilités d’emprunt. De plus, seulement 2 % des fonds de capital-risque mondiaux sont alloués à des startups dirigées par des femmes, malgré leur tendance à innover avec des projets à forte utilité sociale. Cette difficulté à obtenir des financements ne découle pas de la qualité des projets, mais du fait qu’elles n’ont pas appris à pitcher ou n’ont pas de binôme financier. 

C’est un enjeu fondamental, car l’indépendance financière des femmes dépend non seulement du salariat mais aussi du développement entrepreneurial. Dans le salariat, d’importants progrès ont été réalisés et le plafond de verre est brisable même s’il reste un défi. En revanche, dans la vie économique indépendante, comme l’artisanat, les petites entreprises ou les startups, l’accès au capital constitue un frein majeur au développement. 

Pourquoi vous êtes-vous engagée pour la parité et l’égalité femmes-hommes et pourquoi continuez-vous de le faire ?

CC : Mon engagement repose sur la conviction que la contribution des femmes est essentielle pour relever les défis mondiaux. Nos sociétés sont confrontées à des crises multiples, et cette contribution est précieuse à tous les niveaux. Nous avons une responsabilité collective de répondre aux besoins des générations futures en intégrant toutes les perspectives. Les femmes apportent une vision différente et nécessaire, particulièrement dans des domaines critiques comme la création des algorithmes et des outils numériques de demain.

Mon message du 8 mars 2024 visait à capitaliser sur une année électorale historique, avec 5,2 milliards de personnes appelées à voter. C’est une occasion unique pour faire entendre les voix des femmes, qu’elles soient en Inde, au Pakistan, en Algérie ou au Mexique.

Je m’engage parce que les femmes méritent de contribuer pleinement à la société. Leur accès à des rôles importants est une étape cruciale pour réparer les injustices et recentrer notre monde sur l’humain et sur la diversité qui le caractérise.

« Enrichissons-nous de nos mutuelles différences », disait Paul Valéry. Cette pensée guide mon parcours, en me rappelant que chaque rencontre est une occasion d’apprendre.